Elisapie nous présente son album Inuktitut et nous parle du Nunavik | Podcast Prendre le Large


La chanteuse Inuk Elisapie est l'invitée exceptionnelle du Podcast Québec Le Mag' pour nous présenter son album Inuktitut et nous parler de son amour pour ce territoire fascinant qu'est le Nunavik

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Au nord du Québec, au-delà du 55e parallèle, s’étend le Nunavik, un territoire de plus de 500 000 km² – c’est aussi grand que la France – et qui occupe à lui seul le tiers de la province du Québec. Et puis tout au nord du Nunavik, donc vraiment à l’extrémité nord du Québec, on trouve le village de Salluit. C’est là, au bord du détroit d’Hudson, qu’est née et qu’a grandi la chanteuse Inuk Elisapie. C’est là qu’elle a construit ses premiers souvenirs, qu’elle a vécu ses premières émotions. Et ces souvenirs, ces émotions, ce sont les cœurs battant du 4e album solo d’Elisapie, un album qu’elle a appelé tout simplement Inuktitut, puisqu’il contient 10 reprises, 10 standards de la musique pop rock des années 60 à 90 qu’Elisapie a choisi de traduire en langue Inuk dans cet album qui, de ses propres mots est le projet artistique le plus personnel de sa carrière.

Je m’appelle Karim Binon, je suis votre hôte pour cet épisode du Podcast de Québec le Mag’, et j’ai l’immense plaisir d’accueillir aujourd’hui la chanteuse Inuk Elisapie.

Bonjour Elisapie.

Bonjour.

Bienvenue dans ce podcast Québec le Mag. Merci de nous rejoindre aujourd’hui.

Ça fait plaisir, merci à vous.

Tu es actuellement en tournée en France, justement pour présenter ce nouvel album Inuktitut. Comment se passent ces premiers concerts en France ?

Ça va très bien, on a commencé au Sud de la France, après on a fait 2 spectacles en Bretagne. Alors quand on commence la tournée en Bretagne, ça se passe toujous très bien. Le public ici, c’est très spécial. J’ai une connexion avec les les Bretons je pense. C’est une question de territoire, d’identité, de langue. Après on se dirige vers Paris et Nantes.

On l’a dit dans l’intro de cet épisode: Inuktitut est un album de reprises. On y trouve dix chansons ; 10 tubes même, qui font partie de la mémoire collective de beaucoup d’entre nous : il y a du Queen, du Fleetwood Mac, du Metallica, une chanson de Cindy Lauper aussi. Présenté comme ça, on pourrait s’attendre à un projet somme toute assez simple, de covers comme on en trouve beaucoup. Mais, en vérité, chacune de ces reprises touche en toi quelque chose de très personnel, de très intime même. Et c’est cette intimité que tu as choisi de retranscrire et de partager avec le public.

Exactement. Au départ, ça devait simplement être un projet qui allait me faire du bien durant un petit moment de pause durant la pandémie. Puis je me suis dit: ‘Ah, c’est peut-être le moment de faire mon petit projet que j’ai toujours voulu faire’, quelque chose qui allait être simple, avec beaucoup de joie, des souvenirs. Et plus le projet avancé, plus j’ai réalisé que chaque chanson qui avait l’air un peu plus superficielle, en fait, au niveau de l’émotion, peut être beaucoup plus profond. Et c’est là que j’ai réalisé qu’il y avait peut-être un travail archéologique mental que j’ai ouvert. Et c’est devenu très personnel. Il y a eu beaucoup de larmes aussi. Mais alors ce n’est pas évident de se lancer pour un album de reprises. J’avais quelques craintes mais en même temps, je me suis, c’est le moment de faire, je le fais.
Ça fait 2 ans. Honnêtement, c’était très long parce qu’il faut avoir des droits pour les réinterpréter, pas juste les réinterpréter, mais les traduire dans une autre langue. Alors c’était une bonne chose de prendre le temps parce que ça m’a permis de grandir aussi comme comme artiste.

Tu parles de joie, d’émotion. C’est vrai que ce sont des chansons sur lesquelles on a plutôt l’habitude de s’amuser, voire de danser même. Et puis quand on les écoute, on y ressent effectivement beaucoup de nostalgie, de mélancolie. Il peut même y avoir de temps en temps un côté un peu triste. Tu as parlé de larmes d’ailleurs aussi. C’est lié aux souvenirs que chacune de ces chansons, évoque ?

Totalement. J’aime ça me baigner dans ce monde là des profondeurs, de mélancolie. J’ai pas trop peur de ces émotions, de la nostalgie. Mais oui, il y a de la tristesse bien sûr. Il y a de la colère par moment, mais sans jamais le crier fort. C’est quelque chose qui est soutenu d’une sorte peut être d’une quête spirituelle presque parce que parfois, quand on doit retourner au passé, c’est c’est notre esprit qui prend la relève. Je me suis laissée guider par mes émotions pures et tout ça est devenu le fil conducteur de ce projet. Et puis les années 60, 70, 80, c’est des moments où en très peu de temps, il y a des choses qui changent très drastiquement, de manière tellement intense et même, je dirais violente. Et je pense qu’on n’a jamais vraiment pris le temps de réfléchir à ce qui est arrivé, parce que c’est si proche encore pour nous. Mais on était des nomades encore les années 60 et je pense que ces musiques là ont été nos espaces pour déposer nos émotions. Même maintenant, on n’y arrive pas toujours, à prendre ce recul. Mais je pense qu’à travers la musique, on comprend. En tout cas, j’espère que ma famille, les gens du Nord comprennent ce message. Quand il entendent une version de Blondie par exemple, une chanson qui nous a tant fait danser mais qui a entouré ce moment-là, ces paysages, les changements, les revendications… Oui, ce sont ces sons-là qu’on a voulu aller chercher.

Dans certaines de tes interviews tu présentes même cet album comme une forme dede catharsis, comme presque une thérapie que tu t’es proposée à toi même.

Totalement. C’est comme ça, c’est ça qui m’inspire. C’est le moment d’ouvrir, de laisser les vagues arriver…. Ce n’est pas totalement nouveau. C’est une continuité, peut être même du dernier album qui s’appelait The Ballad of the Runaway Girl, qui était déjà une réflexion sur le passé aussi. Oui, je pense que c’est juste la continuité de ce projet là, mais ça va là où ça fait mal un petit peu.. Mais il y a aussi beaucoup de beauté, de douceur, beaucoup d’innocence. C’est surtout ça que je ressentais, c’est l’innocence du peuple. Il n’y a pas si longtemps on était des gens très calmes et très forts aussi en même temps, alors j’étais inspirée par ça.

L’album est sorti au mois de septembre mais tu avais déjà publié quelques titres dont la reprise de Time after Time de Cindy Lauper, celle de Unforgiven de Metallica, ou celle de I Want to Break Free de Queen. Ces titres sont illustrés de clips qui ont été tournés chez toi, dans le Nunavik. C’était important que cet album qui porte le nom de ta langue maternelle, soit aussi illustré par des images de ta terre natale ?

Ah c’est sûr, pour moi, les images, ça révèle encore plus de choses, peut-être même plus que la musique. En tout cas moi, je suis quelqu’un qui aime beaucoup, beaucoup travailler avec les archives. Encore une fois, je pense que les jeunes, les gens comme moi, ont besoin de voir ce qu’on était il n’y a pas si longtemps. Et mélanger ça avec la musique contemporaine, il y a une puissance… En tout cas, c’est quelque chose qui me parle, qui me représente aussi. Alors oui, les images, pour moi, c’est ultra ultra important. J’ai voulu aussi continuer le travail d’illustrer un peu, de donner comme une forme de documentaire à chaque chanson. Et mélanger une chanson comme Heart of Glass avec les paysages de chez nous les années 50, quand il y a encore ce côté très pur. C’est encore le Nord dans son côté le plus simple, sans les maisons. Les gens sont heureux… Oui, la vie nomade.

Tous ces clips se marient en effet extrêmement bien avec la musique, on a ce côté documentaire dont tu parles et qui nous plonge vraiment dans l’histoire de ces territoires.

Totalement, j’adore ça. Et aussi j’aime aussi aller chercher les moments… ces doux souvenirs quand j’étais pré-ado avec une chanson comme Time After Time, avec les images que j’ai récupérées. Une femme m’a envoyé ça il y a à peu près 2 ou 3 ans. Quand je les ai regardées, j’ai pleuré parce que je vois ma famille, je vois là notre premier petit centre communautaire qui n’est pas très moderne et je me dis que, pour nous, c’était un moment de magie. Et je réalise qu’il n’y a pas si longtemps, on était comme ça. Et encore une fois, il y a beaucoup de joie, mais avec la musique, il y a un peu de mélancolie. Alors je pense que c’est ça qui donne la beauté, je trouve, quand je regarde ces images avec la chanson Time After Time de Cyndi Lauper.

C’est un projet qui a été long à monter, notamment parce qu’il y a eu toutes les discussions, toutes les négociations pour obtenir le droit de reprendre ces chansons-là. Il y en a même quelques-unes qui sont arrivées très très tard, juste avant le bouclage de l’album. Et puis, est-ce qu’il y a certaines chansons que tu aurais voulu ajouter et qui n’ont pas pu figurer dans l’album ?

On avait commencé avec la chanson Chiquitita de Abba. On l’a enregistrée, on l’a envoyée, mais on n’a jamais eu de OK de la part de l’équipe de Abba. On nous a dit aussi, c’est très très rare. On l’a en banque, au cas où. On a aussi une autre chanson je ne sais pas si je devrais le dire, mais oui on a 2 chansons qui n’ont pas été retenues.
Mais déjà je pense que 10 chansons c’est parfait.  Il y a tellement d’autres choses qui arrivent… je ne suis pas sûre que je ferais un Inuktitut 2. Mais pourquoi pas ? Ce n’est jamais évident quand tu fais quelque chose qui est si spécial. En tout cas j’aurais peur que les gens le boudent parce que ce serait le 2e. Mais on ne sait jamais. Peut-être l’envie m’amènera là, encore. C’est ça le plus important.

On l’accueillerait avec grand plaisir. Je dois dire que pour moi qui ai découvert ta musique à travers cet album, le fait que ça se fasse à travers des chansons ou des rythmes ou des mélodies qui sont déjà connues, ça permet de s’immerger plus facilement. En tout cas, je trouve que c’est une super porte d’entrée pour des personnes qui sont probablement un peu profanes comme moi.

Vraiment je n’attendais pas une réaction comme ça, c’est sûr. Je suis beaucoup plus dure, plus critique envers moi-même. Mais il a fallu que je lâche prise parce que ce n’est pas juste moi qui suis dans ce projet, il y a plein de monde derrière ce beau projet là. Alors c’est vraiment un album collectif dans le sens où les gens ont beaucoup donné, ils ont donné beaucoup d’amour à ce projet.

Parle-nous un peu du Nunavik. Vu de chez nous, en France, c’est un territoire qui fascine mais qui peut intimider aussi, par son étendue, par son côté reculé, par la perception presque sauvage qu’on peut en avoir quand on ne le connaît pas.

Mais le Nunavik, en tout cas de mon point de vue puisque j’ai grandi là-bas jusqu’à mes 22 ans, j’ai beaucoup de misère à le voir comme un truc loin, un territoire qui est un peu fermé. Pour moi, c’est le centre ! En tout cas dans mon imaginaire de fille du Nord, c’est pas une affaire aussi loin, c’est plutôt le centre. Et tu sais, c’est plutôt la France, c’est Montréal qui sont loin comme ça. Alors, tu vois, c’est une question de point de vue. Il faut essayer d’avoir cela à l’esprit quand tu visites un paysage comme ça, sinon il va y avoir un fossé. Et puis, tu sais, il ne faut pas juste vivre l’expérience du côté exotique. Il faut vivre l’expérience de l’ensemble. Qu’est-ce qui rend ce territoire spécial ? Parce que nous, les Inuits, on est dicté par le territoire, les montagnes, le vent, le froid, les animaux. L’ours polaire, l’animal le plus fort. Nous, on a toujours côtoyé les animaux migrateurs, les oiseaux migrateurs, les caribous. Alors on est très connecté à ça. Alors oui… je ne sais pas trop comment décrire le Nunavik honnêtement.

Tu l’as très bien fait, en vérité. Tu vis désormais à Montréal, est ce que tu y retournes souvent ? Est ce que tu retournes souvent à Salluit ?

Oui, oui quand même, surtout quand on part en tournée, ça me donne plus d’occasions pour être avec les gens. C’est plus les gens, le rythme des gens, le rire, la joie, la façon qu’on a pas les mêmes codes qui est rafraîchissant à chaque fois.

Que dirais-tu aux touristes Européens qui viennent visiter le Québec et qui peuvent avoir tendance à s’arrêter aux grandes villes, aux provinces maritimes ou aux grandes stations touristiques qui sont forcément plus accessibles, pour leur donner envie de découvrir le Nunavik ?

Je pense que, quand tu vas dans le Nord, il faut lâcher prise, laisser tout derrière et arriver à un rythme. C’est ça la meilleure expérience du Nord, sinon ça devient juste une expérience carte postale. On s’en fout de ça, nous, on est là pour connecter avec les gens.

Prendre le temps. Prendre le temps d’échanger, prendre le temps de découvrir, prendre le temps, de comprendre aussi la culture et simplement la manière de vivre là-bas.

Totalement !

Et prendre le temps de comprendre le rythme aussi. Ça c’est un cadeau je pense que les gens devraient se faire..

On va essayer de prendre le temps alors.

Tu as passé quelques jours en France en cette fin 2023, tu reviendras en avril 2024 pour quelques dates à Paris, à Annecy, à Bruxelles aussi.

Exactement, au Café de la Danse à Paris, c’est une nouvelle date.

NDLR: toutes les dates de concert d’Elisapie en France: https://www.infoconcert.com/artiste/elisapie-77308/concerts.html

Et que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Qu’est ce qu’on peut me souhaiter ? Rien. Je pense que la vie est est belle.
Je suis déjà très choyée, alors si on doit souhaiter quelque chose, ça serait aux autres pour qui ça va mal.

D’accord ! Et bien, on va au moins te souhaiter une excellente journée, une bonne fin de tournée en France et puis on te remercie encore beaucoup d’avoir partagé ce moment avec nous.

Merci beaucoup. Nakurmiik ! A bientôt.

A très bientôt !

Québec Le Mag'

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