Montréal-Vancouver par le train : suite et fin
Précédemment dans « Si on traversait le deuxième plus grand pays de la planète p
Traverser d’est en ouest le deuxième plus grand pays de la planète ? À condition de n’être pas trop pressé ou d’avoir décidé d’alléger son bilan carbone, entreprendre un voyage Montréal-Vancouver par le train est une des manières les plus authentiques de faire connaissance avec le Canada dans toute son étendue. D’un centre-ville à l’autre, au rythme du rail et au fil des rencontres, cette odyssée transocéanique opérée par Via RAIL Canada a pour véhicule un train mythique, Le Canadien. Une croisière ferroviaire qu’on vous raconte en deux parties. Rendez-vous en gare centrale de Montréal pour la prise d’élan...
— Nous sommes en mars et à en juger par la glace qui nappe encore les trottoirs montréalais, l’est du Canada est loin d’en avoir fini avec l’hiver. Une astuce pour faire grimper le thermomètre de 30 degrés sans changer de pays consiste tout simplement à traverser ce dernier de part en part pour rejoindre la côte pacifique.
À vol d’oiseau, Vancouver se situe à près de 3 700 km de Montréal – un périple d’au moins deux bonnes journées au volant ou 5 heures par les airs. Pour déguster le défilé paysager, esquiver le combo stress-fatigue et se déplacer comme une fleur d’un centre-ville à un autre, le train est un véhicule imbattable. Au Canada, Via RAIL est la seule compagnie à relier les deux océans par le chemin de fer. Un périple dont la dimension continentale la plus complète se révèle en partant d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, pour emprunter la ligne « The Ocean » jusqu’à Montréal, puis rejoindre Toronto grâce au « Corridor » et entamer la grande traversée, soit six jours de voyage.
Notre objectif à nous, c’est « Le Canadien », train de légende qui relie Toronto à Vancouver en 4 jours et 4 nuits. Dans la salle des pas perdus de la gare centrale de Montréal, nous vérifions nos billets quand une annonce résonne à travers le vaste hall aux touches Art déco : notre premier train est prêt, pile à l’heure. Nous allons quitter la deuxième agglomération du pays pour aller saluer la première.
Montréal-Toronto, ce sont 5 heures de trajet qui passent comme un éclair malgré une vitesse de croisière des plus modestes. Le confort à bord n’y est pas pour rien : sièges spacieux équipés de prises de courant, wifi gratuit avec programme de films et de documentaires via le portail internet de Via RAIL et – en classe Affaires, s’il vous plaît – repas compris. Mais la véritable distraction se trouve de l’autre côté de la vitre.
Quitter Montréal par le train offre des points de vue inusités sur le sud-ouest du centre-ville, ses gratte-ciel emblématiques et ceux en construction, mais aussi sur une grande zone de fret ferroviaire avec ses empilements de containers, ou encore la minoterie ADM et sa vénérable enseigne Farine Five Roses…
On traverse l’île de Montréal happé par le panorama urbain et industriel de la métropole québécoise. Le train marque un arrêt à Dorval avant d’atteindre la province voisine. Il fera escale à Cornwall puis à Kingston, à mi-chemin. À partir de là, il est pratiquement impossible de détacher son regard du côté gauche, la voie ferrée jouant à cache-cache avec la vue sur l’immense lac Ontario et sa ligne d’horizon bleutée, un océan intérieur qui nous accompagnera jusqu’à Toronto.
Grandiose est l’arrivée dans les bras de la capitale ontarienne. Le train semble se frayer un chemin entre les buildings du centre-ville et le géant lacustre avant d’atteindre son terminus, la Gare Union.
Construite dans le style Beaux-Arts par le Canadien Pacifique et le Chemin de fer Grand Tronc entre 1913 et 1927, sa fréquentation dépasse celle de tous les aéroports canadiens. Sortir du bâtiment et se retrouver sur la rue Front Ouest fait immanquablement lever le nez pour trouver un bout de ciel entre les impressionnants édifices. Toronto la vertigineuse en veut à nos cervicales ! Une soirée et une journée dans l’effervescente capitale ontarienne doivent absolument être mises à profit. La ville regorge d’attraits en plus de magnétiser les meilleures tables et le nightlife le plus débridé du pays.
Une cure d’urbanité nord-américaine dans toute sa démesure avant d’embarquer pour une grande traversée promettant elle aussi son lot de spectaculaire, mais avec beaucoup plus de quiétude.
Le lendemain soir, c’est le grand départ. Alors que les plus gros bagages sont enregistrés et partent sur des tapis comme à l’aéroport, des sourires complices naissent déjà entre les futurs passagers du Canadien. Ils s’apprêtent à partager une expérience unique et auront, pour faire connaissance, quatre journées complètes au rythme du rail. Pas moins de quatre provinces et trois fuseaux horaires à franchir ensemble jusqu’à Vancouver.
Pour l’heure, c’est la découverte de notre long vaisseau d’inox qui occupe chacun. Il a plutôt fière allure, avec sa loco diesel et sa quinzaine de voitures construites pour la plupart dans les années cinquante par le Canadien Pacific et rénovées 40 ans plus tard par Via RAIL. La compagnie canadienne, qui assure en basse saison deux allers-retours transocéaniques par semaine, propose trois classes à ses passagers : la Prestige, lancée en 2015 – de véritables suites tout confort avec service de conciergerie personnalisé – ; la classe Voiture-Lits Plus, ses couchettes et ses cabines pour une ou plusieurs personnes avec lits escamotables, toilette privée et meuble-lavabo ; et enfin la classe Économie, qui à défaut d’intimité propose des sièges assez spacieux pour se réveiller sans courbatures. En cette fin d’hiver, le Canadien, qui peut accueillir 500 personnes, est loin d’être rempli – l’avantage de voyager hors saison. Chaque voiture a son préposé, dont l’une des premières missions consiste à vous demander auquel de deux ou trois services (selon le nombre de voyageurs) vous souhaitez souper. Aux petits soins avec leurs hôtes, les employés de Via RAIL sont parfaitement bilingues et semblent avoir développé un sixième sens pour deviner votre langue maternelle sans même entendre votre accent. À moins que – théorie alternative – les Français de France que nous sommes n’aient nullement besoin d’ouvrir la bouche pour trahir leur accent ?
Le premier repas au wagon-restaurant inaugure ce qui sera notre rituel quotidien à bord : une randonnée apéritive pour remonter une dizaine de voitures avant de se mettre à table et faire connaissance avec des compagnons de traversée – voyageurs majoritairement solitaires – différents à chaque repas, des tablées de quatre convives étant formées par les préposés.
Cuisinés sur place, variés et de qualité, les plats sont le sujet de conversation parfait pour briser la glace, entre un « D’où venez-vous ? » et un « C’est votre première fois sur le transcanadien ? ». Tandis que ce dernier s’enfonce dans la nuit, longeant la côte de la Baie Géorgienne du lac Huron pour filer en direction du Nord et s’éloigner des Grands Lacs, les corps s’habituent au roulis de la machine. Contre toute attente, loin de perturber le dodo, les mouvements et les bruits du train agissent comme une véritable berceuse. Même le photographe – corps de métier au sommeil léger – a dormi comme un bébé.
Au petit matin, la campagne ontarienne nous cueille en mode panoramique, timidement vallonnée et jonchée de petits lacs gelés. On ne résiste pas à la tentation de foncer sous le dôme transparent de la voiture Skyline pour déguster la vue avant de faire subir le même sort au petit-déjeuner. À la lumière du jour, on se rend bien mieux compte du rythme indolore de la progression – vitesse de pointe : 60 km/h.
L’Ontario, c’est le gros morceau du rail-trip. À force de répéter que le Québec est la plus vaste province du Canada, on en oublie que ses voisines n’ont pas à rougir de leurs mensurations. Le territoire ontarien dépasse le million de kilomètres carrés et le traverser nous prendra quasiment deux journées. Une particularité de cette croisière ferroviaire est que tout passager, à condition de prévenir 48 heures à l’avance, peut demander un arrêt où il veut sur le trajet. Alors quand le train stoppe pour la première fois au milieu de nulle part, on s’interroge sur l’identité du requérant… Un trappeur ? Raté ! Et il faudra s’y habituer : sur le réseau, les trains de marchandises ont la priorité sur notre courtois Canadien. Celui-ci marquera de nombreuses et parfois longues pauses pour les laisser passer.
Si vous êtes du genre pressé-stressé, le transcanadien fera son office de thérapie douce et vous le remercierez. Le décor encore emmitouflé défile comme un poème de Nelligan récité lentement, laissant au regard le temps de suivre ici un animal, là des chalets bordant un lac ou des voitures sur une route parallèle… qui vous doubleront fatalement. Pas de wifi et si peu de réseau mobile que la déconnexion l’emporte vite sur toute autre velléité. Alors ? Alors repos, lecture, contemplation et place à l’humain au hasard des rencontres. Au bar, au restaurant, dans les sections panoramiques du train ou en marge d’un petit concert, les discussions se suivent sans se ressembler. Pêle-mêle nous croisons : un honorable antiquaire de Toronto utilisant le train pour son métier et effectuant son 80e (!) voyage à bord du Canadien, une restauratrice de Saint-Mathieu-du-Parc partie retrouver sa fille à Vancouver, une petite grand-mère de Québec qui rêvait de ce voyage depuis 40 ans, un New-Yorkais fasciné par l’expérience ferroviaire contrairement à son épouse qui aura choisi l’avion, un Néo- Zélandais grand voyageur et deux jeunes Australiennes lancées dans leurs tours du monde…
Sans compter quelques locaux des provinces centrales, à bord pour quelques arrêts, et bien sûr le sympathique équipage qui nous accompagnera jusqu’à Winnipeg où les collègues prendront le relais.
Après avoir traversé une portion du parc provincial Wabakimi, l’arrêt à Sioux Lockout est le signal qu’il ne reste plus que quelques heures avant de dire au revoir à l’Ontario et bonjour à sa voisine occidentale. Et voici Winnipeg. La capitale du Manitoba nous accueille avec l’architecture impressionnante du Musée canadien pour les droits de la personne. Le train a déjà accumulé assez de retard pour que l’escale soit moins longue que prévu. Elle permettra quand même d’explorer les galeries commerciales de la Fourche, alias The Forks Market, des bâtiments patrimoniaux abritant de jolies boutiques, cafés et restaurants.
Retrouver ses sensations de piéton sur la terre ferme et respirer l’air de la ville, voilà qui s’avère quasiment exotique après plus de 40 heures sur les rails en rase campagne. C’est déjà l’heure de remonter afin de poursuivre notre conquête de l’Ouest à travers les grandes plaines des provinces centrales. Chacun reprend le cours paisible de sa vie à bord.
Et Le Canadien poursuit son chemin ferré en direction du Saskatchewan. Certains passagers se réjouissent d’être à mi-chemin quand d’autres n’ont pas senti le temps passer.
Que leur réserve la suite du périple ? Rendez-vous au prochain numéro…
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