Mer et Monde Ecotours
Rattachée à la communauté innue d’Essipit en Côte-Nord, Mer et Monde Écotours
C’est une première au Québec et bien au-delà.
SHIPEKU, c’est-à-dire « vert » en langue innue, est le nom d’un programme pilote visant à accompagner durant 18 mois des acteurs du tourisme autochtone dans leur transition vers la durabilité. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Alors qu’elle arrivera à son terme en mars 2024, on fait le point sur cette initiative pionnière et déjà très riche en enseignements portée par Tourisme Autochtone Québec.
Face à l’urgence climatique, à la crise énergétique, aux menaces qui pèsent sur la biodiversité et aux mutations de nos sociétés, la nécessité d’accélérer le mouvement vers la durabilité touche le tourisme comme n’importe quelle autre activité humaine. Au Québec comme ailleurs, les organisations et entreprises touristiques sont appelées à intégrer ces enjeux de manière à la fois globale, c’est-à-dire à tous les niveaux de leur fonctionnement, et adaptée aux particularités de chacune. Comment s’y prendre ? Et si les réponses venaient de l’univers des onze Nations autochtones et inuit du Québec ? Lancé en septembre 2022 par l’association sectorielle Tourisme Autochtone Québec (TAQ) avec le soutien financier de Développement économique Canada et de Tourisme Québec, SHIPEKU est le tout premier programme visant à accompagner des entreprises autochtones vers des modèles d’innovation durable. Œuvrant dans le plein air, l’hébergement, la restauration, l’événementiel ou encore la muséologie, dix-neuf entreprises touristiques issues de six Nations autochtones différentes participent à la démarche, de même que l’association TAQ elle-même, qui s’est par ailleurs dotée à l’interne d’un conseiller en tourisme durable en la personne de Pierre Kanapé.
Selon les mots de Dave Laveau, directeur général de Tourisme Autochtone Québec, « la démarche proposée à cette cohorte d’entrepreneurs vise évidemment à maximiser l’adaptation de nos entreprises touristiques aux changements climatiques, mais aussi, de participer à la diminution de la pollution et surtout à la régénération de la biodiversité. Cette modernisation permettra d’enrichir l’expérience des visiteurs, de les inspirer et de véhiculer une image forte d’authenticité et de valeurs profondes, ancestrales et contemporaines ». En pratique, sur une période de 18 mois, les vingt entreprises et organisations formant cette première cohorte sont accompagnées de manière personnalisée et collective, chacune étant suivie par une experte de la transition durable en tourisme tout au long d’un parcours ponctué de visites de terrain, de diagnostics, de formations et d’un plan d’actions durables, le programme débouchant sur une certification officielle s’appuyant sur un audit externe, mais aussi un plan de marketing durable. L’idée est ensuite que chaque entreprise adopte une véritable culture de l’amélioration continue en matière de durabilité, en restant à l’écoute, flexible et résiliente. Pour y parvenir, le conseil personnalisé est central dans le parcours SHIPEKU, qui s’est adjoint des connaissances en tourisme durable d’une équipe entièrement féminine. Chacune experte dans son domaine, Sandrine Lamy-Grenier, Aurore Courtieux-Boinot, Sophie-Laurence H. Lauzon, Aurélie Jeanroy, Isabelle Pécheux, Valérie Massalaz, Dannie Caron et Julia Thibault collaborent ainsi au projet.
Différents outils innovants ont d’ores et déjà été mis en place dans le cadre de SHIPEKU. On peut citer le développement d’un outil particulièrement avancé pour établir le bilan carbone d’une entité, fruit d’une collaboration entre Tourisme durable Québec (TDQ), Aventure écotourisme Québec (AEQ) et PAR Conseils, l’agence de Jean-Michel Perron, lequel assure par ailleurs une formation en économie circulaire adaptée au tourisme ainsi que la coordination de l’ensemble du programme. Autre initiative pionnière au Québec, une formation sur le marketing durable et les communications responsables en tourisme marque également le parcours SHIPEKU. De manière plus générale, ce dernier s’aligne sur les dix-sept objectifs de développement durables (ODD) fixés par l’ONU dans le cadre de l’Agenda 2030. Afin d’établir un diagnostic complet adapté à chaque entreprise – étape qui s’est achevée au printemps 2023 –, un outil informatisé a même été créé spécifiquement, intégrant les dimensions non seulement environnementales, mais aussi économiques, sociales et sociétales ciblées par les ODD. Ces supports novateurs ne sont toutefois pas les seuls à faire de SHIPEKU un véritable laboratoire en matière de tourisme durable. Les spécificités de la culture et des modes de vie autochtones occupent naturellement une place très importante dans le projet.
Voilà toute l’originalité du programme SHIPEKU et sa valeur ajoutée. En plus des huit conseillères qui accompagnent les entreprises chacune dans leur domaine d’expertise (économie circulaire, design de l’environnement, management durable, gestion des déchets ou encore adaptation aux changements climatiques…), une mission transversale a été confiée à Karine Awashish, de la Nation atikamekw d’Opitciwan. Cette doctorante en sociologie est chargée d’intégrer les valeurs traditionnelles autochtones et le respect des cultures des Premières Peuples au cœur de chaque projet tout au long du parcours des entreprises. « Nos façons traditionnelles de vivre sur le territoire et de respecter la faune et la flore peuvent servir d’inspiration dans une gestion responsable et durable du tourisme », précise la jeune femme, par ailleurs gestionnaire de la coopérative Nitaskinan. Que l’on songe au respect de la Terre-Mère, aux valeurs dites « Grands-Pères » comme la coopération, l’humilité ou le respect, à la roue de médecine ou encore aux façons traditionnelles de chasser, de pêcher, de cultiver, le développement durable et l’écoresponsabilité sont inscrits dans l’ADN même des Premiers Peuples, dont les modes de vie se sont forgés durant des millénaires au contact des grands espaces sauvages. Emblématique de cette sagesse ancestrale, la chasse traditionnelle à l’orignal est l’un des exemples que Karine utilise lors de ses ateliers. Il s’agit en effet de prélever le cervidé de manière raisonnée, sans mettre la ressource en danger, d’œuvrer en équipe pour que la chasse soit fructueuse, d’utiliser et de valoriser l’intégralité de l’animal (viande, peau, os…) et d’assurer des retombées pour toute la communauté… un vrai modèle d’économie circulaire et de travail collaboratif avant la lettre !
La personnalisation de l’accompagnement reste essentielle dans le projet SHIPEKU, dont la philosophie ne s’incarnera évidemment pas tout à fait de la même manière selon qu’on soit, par exemple, une institution muséale tels le Musée des Abénakis à Odanak et le Musée Ilnu de Mashteuiatsh au Saguenay–Lac-Saint-Jean, ou un événement comme le Pow-wow d’Odanak, lui aussi membre de la cohorte SHIPEKU. Les champs ouverts par la démarche sont pluriels et souvent innovants. En Côte-Nord, l’entreprise de la communauté innue d’Essipit Mer et Monde Écotour, qui propose des randonnées guidées en kayak de mer et de l’hébergement en camping en bord de mer, planche sur des solutions telles que l’utilisation de l’eau de pluie pour laver ses kayaks ou encore le parrainage d’un béluga, une espèce en difficulté dans l’estuaire du Saint-Laurent, grâce aux revenus issus du recyclage des cannettes de ses clients. Un hôtel comme le Quality Inn Sept-Îles se concentre quant à lui sur son plan de gestion afin d’intégrer les enjeux de la durabilité. Dans le cas de Tourisme Winipeukut, à Unamen Shipu (La Romaine) en Basse-Côte-Nord, c’est la transition énergétique qui est ciblée, avec l’installation de panneaux solaires. De son côté, Hébergement Aux Cinq Sens, un site d’hébergement autochtone en nature situé dans les Cantons-de-l’Est, travaille sur la construction d’un nouveau bâtiment écoresponsable dans le cadre du projet SHIPEKU. Pour le restaurant La Traite, qui marie à Wendake gastronomie de haut vol et tradition autochtone, c’est l’enjeu de la réduction des déchets qui est spécifiquement visé grâce à l’accompagnement de deux expertes, Sandrine Lamy-Grenier et Aurore Courtieux-Boinot. Ces dernières sont connues pour avoir cofondé à Montréal La vague, une structure qui rassemble et aide dans leur transition écologique plus de 450 commerces alimentaires à travers tout le Québec.
Pour certaines entreprises autochtones engagées dans le parcours SHIPEKU, l’écoresponsabilité était déjà très structurante de leur activité et il s’agissait surtout d’identifier et d’optimiser les axes de progression possibles. C’est le cas d’Abénaki Aventure, camping basé à Odanak qui ouvrira en juin prochain l’un des plus importants complexes de jeux d’eau de la province avec de nombreuses cases « SHIPEKU-compatibles » déjà cochées : jeux d’eau accessibles gratuitement aux membres de la communauté qui profiteront d’un îlot de fraîcheur bienvenu pendant les épisodes de canicule, design architectural original inspiré par la culture autochtone, énergie solaire pour l’éclairage, recyclage de l’eau, prestataires locaux et retombées économiques et sociétales importantes pour la communauté…
Autant d’exemples qui illustrent bien la nécessité d’une approche globale – ou holistique – pour que la durabilité soit profitable à tous et à tous les niveaux, pour que les acteurs du tourisme deviennent plus résilients face au changement climatique, qu’ils améliorent l’expérience des touristes vers plus d’authenticité tout en en faisant profiter l’ensemble de la communauté. Si différents soient-ils, ces chantiers prometteurs ouverts par la démarche SHIPEKU démontrent de plus tout l’intérêt d’associer expertise scientifique et valeurs autochtones pour progresser ensemble. Une vraie source d’inspiration pour le tourisme autochtone et bien au-delà, car à l’issue de ce programme novateur, les coordinateurs du projet entendent bel et bien partager les enseignements, les outils et les processus développés dans le cadre de SHIPEKU avec l’ensemble de l’industrie touristique québécoise – on ne manquera pas de vous en reparler ! Contribuer à la mise en mouvement d’un grand cercle vertueux, voilà encore une ambition que ne renierait pas l’ancestrale sagesse autochtone.
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